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Le journal du mois, août 2006

D 26 novembre 2006     A par Albert Gauvin - C 0 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook


ET ALORS ? VOUS RESPIREZ, C’EST L’ESSENTIEL...

OUF

L’obscénité diplomatique est lente, mais elle a du bon puisqu’elle limite les dégâts et les morts, après avoir compté et recompté ses billes. De ce point de vue, le titre qui dit tout est celui d’un journal économique : « Le cessez-le-feu au Liban calme l’or noir ». Sachez donc que « les marchés ont soufflé », que le prix du baril de pétrole a baissé, qu’on est revenu à une déraison normale. « A la fin de l’Histoire, a dit quelque part Hegel, la mort vivra une vie humaine. » C’est fait, c’est arrivé, c’est bouclé. L’embêtant, avec la fin de l’Histoire, c’est qu’elle ressemble à la mort de Dieu : ça n’en finit pas de finir, ça n’en finit pas de mourir. Le parti de Dieu est celui de la mort, il a de beaux jours devant lui, c’est de l’or noirci en série.
Là-dessus, beaucoup de discours et de bonnes paroles, mais qui ne passent plus, dirait-on, qui se répètent sans conviction, qui s’enlisent. Les acteurs manquent de style : Bush, de plus en plus bodybuildé, continue à rouler des mécaniques ; le pâle Olmert a l’air d’un expert-comptable d’un magasin beaucoup trop grand pour lui (avec, en prime, un chef d’état-major en délit d’initié, vendant toutes ses actions juste avant la crise) ; Blair, surnommé « le caniche » par les Britanniques, remue gentiment la queue ; « Condi » Rice, seul miracle, s’anime soudain et glisse une oeillade d’enfer et même un bisou frôleur au pharmacien de charme Douste-Blazy, notre Latin lover. Le Premier ministre libanais essuie une larme de crocodile devant les momies de la Ligue arabe, et l’assassin rose et replet à la barbe fleurie, Nasrallah, joue la star islamo-sociale. Vous enchaînez sur les décombres et les cadavres déjà oubliés, puisqu’on va nettoyer, tamponner, reconstruire jusqu’au prochain spasme. La mort vit une vie humaine, mais il ne faut pas le dire, ça pourrait freiner les marchés. Et tant pis pour les jeunes soldats tués, courtes vies fauchées, comme d’habitude.

TERREUR

Il y a eu les grandes terreurs de masse, il y a maintenant la terrorisation par saccades. Les terroristes sont partout, ils sont diaboliques, ils n’arrêtent pas d’inventer de nouveaux gadgets. Ils peuvent mélanger des liquides en vol, des crèmes, des lotions, et, qui sait, peut-être même leur urine, pour fabriquer des explosifs insoupçonnables. Il faut que le voyageur soit terrorisé en permanence, pris en otage, traqué dans ses effets personnels et ses produits de beauté. Sa vie est en danger, on s’en occupe sans cesse. Des foules entières transformées en campeurs d’aéroports ? Déjà 20.000 bagages perdus ? Et alors ? Vous respirez, c’est l’essentiel. Ce genre d’exercice deviendra constant, il faut habituer les populations. On prend soin de filmer des touristes américains qui se félicitent qu’on assure ainsi leur sécurité. Ils marchent. Tout va donc pour le mieux dans la meilleure confusion possible.

FUMEURS
Le vrai coupable dans tout ça, c’est quand même le fumeur. On l’a dénoncé cent fois, mille fois, mais ce n’est pas assez : il faut lui interdire l’accès aux entreprises, il ne sera plus embauché. Un Irlandais l’a décrété, et la Commission européenne l’approuve. Cet homme de santé dit que « les salariés qui reviennent à leur bureau après une pause-cigarette puent ». Il ajoute que « la vérité est que ces fumeurs ne réalisent pas les risques qu’ils encourent, ce qui signifie qu’ils n’ont pas le niveau d’intelligence recherché ». On sait que la législation interdit la discrimination sur la base d’origine raciale, ethnique, d’un handicap, de l’âge, de l’orientation sexuelle, de la religion et des croyances, mais le fumeur, lui, est désormais le discriminé total. Normal, il pue, c’est un incendiaire et un criminel en puissance, il tue d’ailleurs à petit feu ses proches et ses collègues, c’est un dangereux asocial, il prend l’existence avec une désinvolture insupportable, il se croit seul, il est plus dangereux qu’un drogué, un maniaque sexuel ou un fou de Dieu. De nouveaux appareils de détection seront mis en place un peu partout ; ne pas fumer ne suffira pas, il faudra prouver qu’on ne fume jamais, même en cachette, et l’appareil tranchera : il pue. Pas de travail pour les fumeurs ! C’est peut-être là leur honneur : ils minent la notion de travail elle-même. Mais que me dit-on ? Que malgré le désastre entraîné par cette puanteur s’attaquant aux grossesses, aux spermatozoïdes, aux poumons, aux enfants, aux arbres, la consommation de cigarettes a repris en France ? Que la législation française interdit de ne pas embaucher un fumeur ? Ces Français sont des fumistes, et on attend le candidat ou la candidate à la présidence de 2007 pour mettre fin à cette situation choquante. Tout fumeur sera interdit d’aéroport, de gare, d’autoroute. Son véhicule pourra être saisi, son appartement perquisitionné, et ses relations interrogées sur dénonciations préalables.

DOPEURS

J’ai oublié le nom de l’Américain maillot jaune du Tour de France. On le piquait à la testostérone, et hop, il s’envolait sur son vélo enchanté. Je crois l’avoir aperçu, un peu maigrichon, rien d’un King-Kong, mais, a-t-il affirmé, très bon producteur de cette hormone testiculaire. Question : la testostérone favorise-t-elle l’activité mentale ? Si oui, j’ai envie d’essayer. Je pourrais même cesser de fumer. Et, sans oser plonger avec elle, aller interviewer l’extraordinaire Laure Manaudou, cette sirène à turboréacteur, au regard malicieux, si frais, si doux.

DICTATEURS

Ils disparaissent peu à peu, ces grands dinosaures d’autrefois, ces hâbleurs, ces gesticulateurs, ces hurleurs, ces péroreurs d’estrade. Dire que les Etats-Unis ont essayé 638 fois d’assassiner Fidel Castro : cigares explosifs, pilules empoisonnées, mollusques piégés, tout aura été tenté. Ce fumeur viril et sinistre n’aura même pas été diminué par la fumée, il s’en va par les intestins, morne plaine. Les exilés de Miami font la fête, dans un débordement fascinant de vulgarité. Le président vénézuélien Chavez vient embrasser son pote et le frère militaire de son pote. On m’assure que Castro relit Ignace de Loyola dans son lit, en souvenir de son éducation jésuite de jeunesse. Interdit, évidemment, de prendre en photo la couverture des Exercices spirituels. Après tout, c’est possible, à moins que le Saint-Siège, une fois de plus, essaie de faire de l’intox.

GENIE

Il est 22h30, j’écoute à la radio un concert donné à Salzbourg. Tout à coup, j’entends la nouvelle : Elisabeth Schwarzkopf vient de mourir en Autriche, à l’âge de 90 ans. Après un moment, on diffuse un ancien enregistrement de La flûte enchantée, où elle interprète le rôle de Pamina. C’est elle, oui c’est bien elle, reconnaissable entre toutes, beauté, justesse, velours inouï, tension, abandon, et révélation de l’amour s’il existe. Elle aura été la vraie femme de Mozart. Toute la journée, il n’a été question que de violences et de bombes. Maintenant, la nuit est calme, étoilée, la Grande Ourse, là, sur ma gauche, va peu à peu basculer vers l’horizon, comme pour se mêler à l’océan noir. La voix de Schwarzkopf troue la nuit en douceur. C’est bouleversant de grandeur.

MARYLIN

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Vous voulez savoir jusqu’où peut aller la pathologie américaine ? Alors, lisez le passionnant roman Marilyn dernières séances (1), que Michel Schneider a tiré de la très bizarre relation entre Marilyn Monroe et son très étrange psychanalyste, Ralph Greenson. C’est une histoire terrible, une course à la mort entre cinéma, désir de ne pas savoir et argent. Le sexe s’est volatilisé, il ne reste que les médicaments, quelques films, et le vide.

(1) Grasset.





Philippe Sollers
Journal du Dimanche

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