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Journal du mois, mai 2011

DSK, Ben Laden, Jean-Paul II, Sartre

D 29 mai 2011     A par Viktor Kirtov - C 5 messages Version imprimable de cet article Version imprimable    ................... PARTAGER . facebook



Geronimo. Ben Wittick/ AP /Sipa (ZOOM, cliquer l’image).

DSK

Quel rapport y a-t-il entre DSK et un libertin des Lumières ? Aucun. Prenons le prince de Conti, décrit ainsi dans les Mémoires de Saint Simon : « Galant avec toutes les femmes, amoureux de plusieurs, bien traité de beaucoup. » On ne voit pas ce grand seigneur, saisi par une pulsion irrésistible, se jetant sur une pauvre femme de chambre dans ses appartements ni coincer une romancière de l’époque dans un escalier.

Je note que les féministes, qui ont bien raison de protester contre une certaine propagande machiste, ont choisi comme slogan « les hommes se lâchent, les femmes trinquent ", et non pas, ce qui aurait été plus courageux, « nous sommes toutes des femmes de ménage noires et musulmanes ". De toute façon, au point où nous en sommes, le film à très grand spectacle ne fait que commencer, il s’obscurcira de jour en jour sur fond de millions de dollars. En attendant, DSK est devenu le mari le plus coûteux du monde. Sa femme est héroïque, saluons son système nerveux.

La raison profonde de ce tsunami ? L’ennui. Un ennui angoissant, suffocant, irrépressible, qui a envahi, de plus en plus, ce roi du monde financier, déjà virtuel président de la République française. Si vous croyez que c’est drôle d’aller de réunion en réunion, de voir défiler sans arrêt des milliards de dollars pénalisant les Grecs,les Espagnols, les Portugais, les Irlandais, d’être assuré du pire tout en disant le contraire, de respirer au c ?ur d’une catastrophe, c’est le stress assuré.

Dominique Strauss-Kahn n’en pouvait plus, il a voulu une sensation neuve du risque, de la prédation, une revanche sinistre, sans doute, sur une mère castratrice. Tragédie, descente aux enfers, soit, mais aussi repos, grand repos. Comme il aura maintenant le temps de lire et d’écouter de la musique, je vais lui envoyer mon roman Femmes, qui lui apprendra beaucoup de choses, et un bon enregistrement du Don Giovanni de Mozart (lequel devrait être interdit aux Etats-Unis, puisqu’il comporte au moins deux scènes de viol). Où dois-je envoyer des fleurs à la malheureuse « Ophelia » ? Je ne sais pas.

Ben Laden

Il est étonnant qu’un des immeubles où DSK aura été détenu se soit trouvé à côté de Ground Zero, lieu où erre, la nuit, le fantôme de Ben Laden. Son corps pourrit quelque part en mer, mais on oublie trop vite son nom de code dans l’opération de son assassinat : « Geronimo » ! Geronimo, le grand chef apache qui a passé son temps à scalper des Américains, le héros subliminal de tous les westerns ! Vous avez vu la photo où, à la Maison-Blanche, Obama et Hillary Clinton regardent le meurtre en direct, comme dans un jeu vidéo. Pas de photo du cadavre (trop horrible), pas de tombeau, immersion précipitée contre les règles les plus sacrées de l’islam. Il paraît que Ben Laden, en cachette de ses femmes, regardait le soir, dans son bunker pakistanais, des cassettes pornographiques. Comme Kadhafi, sans doute, ou Bachar El-Assad, ce massacreur sans complexes. La principale information, dans tout ce charivari ? Peut-être celle-ci : l’or a connu une hausse de 29 % en 2010. Voilà qui peut rassurer les milliers de jeunes manifestants, promis au chômage, de la Puerta del Sol, à Madrid.

Jean-Paul II

Le mois de mai avait pourtant bien commencé, avec la béatification de Jean-Paul II, à Rome. La grande supériorité des monarchies consiste à stabiliser le temps. En Angleterre, mariages et naissances ; à Rome, des cérémonies. Pour le nouveau Bienheureux (qui sera canonisé un jour ou l’autre), la fête recueillie, les fleurs, la foule, la télévision, tout n’était qu’ordre, beauté, luxe, calme et sérénité. En lui offrant, autrefois, mon livre sur La Divine Comédie, de Dante, j’ai été béni par un saint, et j’en ressens chaque jour les bienfaits. Mais le clou de la béatification était la religieuse française miraculée : radieuse, elle portait, avec dévotion, un reliquaire en cristal, avec, à l’intérieur, une ampoule de sang du pape prélevé après la tentative d’assassinat contre lui. Aurait-elle été saisie d’un tremblement parkinsonien, tout s’effondrait. Mais non, Dieu existe, et, contrairement à ce que pensait Sartre, Dieu est un excellent romancier.

Sartre

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Couverture Magazine Littéraire N° 384, février 2000
signée Moretti.

Il y a trente ans, lors de l’élection de Mitterrand à la présidence de la République, on pouvait lire, à la une du Monde, un article sensationnel, une vraie fanfaronnade, pour ne pas dire une rodomontade, du critique Bertrand Poirot Delpech, devenu, par la suite, membre de l’Académie française. Le titre ? Un écrivain né. Je cite : Un peu comme le Sartre des Mots la chose écrite a pris, chez le nouveau président, la place laissée vacante par la transcendance chrétienne. C’est en quelque sorte sa dimension mystique. » « La littérature est toujours pour moi un paradis privilégié », a-t-il redit aux Nouvelles littéraires à la veille du second tour. Il pourrait écrire, comme Hugo dans ses Cahiers : « Je suis un homme qui pense à tout autre chose. »
Sartre est mort en 1980, il n’a donc pas pu lire ces lignes extravagantes, mais on peut, sans effort, imaginer sa nausée.

« Il n’est pas possible de se saisir soi-même comme conscience sans penser que la vie est un jeu »
Jean-Paul Sartre

Voir Mitterrand mis sur le même plan que lui et Hugo, lui aurait paru d’une singulière folie. On aimerait savoir aujourd’hui ce qu’il écrirait sur DSK, le FMI, la gauche, Sarkozy, le printemps arabe, le puritanisme américain, l’incroyable misère espagnole. On peut, en tout cas, relire Les Mots, ce chef-d’ ?uvre, alors que la prose de « l’écrivain-né » Mitterrand a, depuis longtemps, rejoint la platitude générale. Ecoutons-le donc : « Plutôt que le fils d’un mort, on m’a fait entendre que j’étais l’enfant du miracle. De là vient, sans doute, mon incroyable légèreté. Je ne suis pas un chef, ni n’aspire à le devenir. Commander, obéir, c’est tout un ... De ma vie, je n’ai donné d’ordre sans rire, sans faire rire ; c’est que je ne suis pas rongé par le chancre du pouvoir : on ne m’a pas appris l’obéissance. »
Dans ses Carnets, Sartre écrit aussi : « Je hais le sérieux. » Et aussi : « Il n’est pas possible de se saisir soi-même comme conscience sans penser que la vie est un jeu. » Vous avez bien lu : la vie est un jeu, le pouvoir est un chancre. Il serait temps que la France retrouve un peu ses esprits. Seule la bonne littérature y aide. Sinon, comme on peut le constater, le chancre sévit partout.

Philippe Sollers,
Le Journal du dimanche, 29 mai 2011

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5 Messages

  • alexis | 12 juin 2011 - 12:42 1

    Dans son dernier article du JDD, et également lors de sa dernière intervention dans l’émission "Ce soir ou jamais", Sollers a rappelé qu’aux Etats-Unis l’opéra Don Giovanni devrait être interdit car il comprend au moins deux scènes de viol. Il ne rentre pas dans le détail, parce que sans doute une grande majorité de lecteurs et spectateurs tiennent l’opéra pour chose morte, entretenue uniquement par les torrents d’argent que les quelques privilégiés qui y assistent déversent pour s’y divertir. Georges Bataille avoue tout de même qu’à la première audition de l’oeuvre il lui sembla que "les cieux s’ouvraient’’ (Expérience intérieure). Resituons juste un peu ce bon vieux Giovanni cet aristocrate espagnol usant de son prestige et de son charme pour séduire dames modestes autant que nobles. L’opéra s’ouvre avec l’air de Leporello, valet et interlocuteur privilégié du maître, lequel est tout simplememt en train d’abuser de Donna Anna. Cette dernière se met à hurler et voici le père qui vient défendre l’honneur de sa fille. Duel et mort du vieil homme. Deuxième acte, scène de bal : la foule des invités accourre aux ’’Socorrettemi’’ de Zerlina, jeune paysanne à qui l’ensorceleur a promis un marriage, accourrent.Celle-ci s’en sort de justesse. A la différence de DSK, DG sait se faire entendre des oreilles féminines : le premier est incapable de chanter la sérénade, guitarre à la main. Nul doute pourtant qu’aujourd’hui notre seigneur subirait aussi le walk of shame, menotté et la mine pas chantante du tout !


  • V.Kirtov | 2 juin 2011 - 12:24 2

    Cher A.G., viel adage qui n’est même pas d’un stratège chinois : « La meilleure défense c’est l’attaque ! » ... Encore que ! L’attaque à effet boomerang qui se retourne contre son initiateur, ça existe, c’est vrai... Le pauvre Luc Ferry l’apprend à ses dépens. L’attaque verbale est aussi un art de l’esquive, et l’ironie à la Voltaire, une arme déjà éprouvée. Luc Ferry, philosophe pas assez voltairien. Sollers ? Pas philosophe mais voltairien !
    _ Et alors ?
    _ ...Malgré son esprit, Voltaire a dû se réfugier à Ferney, en attendant le jugement de l’Histoire. La cellule dorée de Sollers - en attendant la proclamation de son innocence - est déjà choisie : La Calcina à Venise la chambre aux trois fenêtres avec vue sur le canal de la Giudecca.


  • A.G | 2 juin 2011 - 10:33 3

    Je présume qu’il faut parier sur l’innocence de... Sollers !


  • V.Kirtov | 2 juin 2011 - 02:26 4

    Réponse à PY. Il faudrait que votre question soit adressée à Philippe Sollers.
    _ A défaut, livrons-nous au jeu des réponses possibles, puisque Sollers est un joueur. Il termine son article sur ce mot de Sartre « Il n’est pas possible de se saisir soi-même comme conscience sans penser que la vie est un jeu. » et « je hais le sérieux ». On peut aussi noter que Sollers a intitulé son « roman » le plus autobiographique : « Portrait du Joueur ».

    _ Au jeu des réponses possibles de Sollers, voici mon quarté :
    _ - « Lisez moi ! » (Il le répète souvent, ajoutant même "Tout y est écrit")
    _ - Une pirouette pas sérieuse !
    _ - Et de multiples variantes incluant traits d’ironie voltairienne.
    _ - pas de réponse ! ( le plus probable, et ensuite dans l’échelle des probabilités, une réponse autour de « Lisez-moi »)

    Regardons donc ce qu’il écrit dans son Journal du mois, à propos de DSK ?

    « Quel rapport y a-t-il entre DSK et un libertin des Lumières ? Aucun. Prenons le prince de Conti, décrit ainsi dans les Mémoires de Saint Simon : « Galant avec toutes les femmes, amoureux de plusieurs, bien traité de beaucoup. » On ne voit pas ce grand seigneur, saisi par une pulsion irrésistible, se jetant sur une pauvre femme de chambre dans ses appartements ni coincer une romancière de l’époque dans un escalier. »

    C’est sans doute le paragraphe le plus important, avec le début qui résume le tout. « Quel rapport y a-t-il entre DSK et un libertin des Lumières ? Aucun. »


    Condamnation de quoi, de qui ?
    Condamnation n’est pas un mot naturel chez lui. Mais ceci n’est pas un argument probant, j’en conviens, pas plus que le « Ce n’est pas le Dominique que je connais » - la ligne de défense soufflée, dans un premier temps, par l’équipe de COM.
    Je crois que Sollers, dans cette phrase, ne dit rien d’autre que ce qu’il a écrit. Même s’il y a comme de l’irritation dans cette sentence lapidaire. Irritation, vraisemblablement à l’adresse de ceux qui ont tenté (ou seraient tentés), pour sa défense, d’accoler le mot « libertin » à DSK. Aucun rapport, nous dit Sollers. Et rappelle ce qu’est un libertin des Lumières. Rien de plus, rien de moins. (Notons que Sollers défend aussi son pré-carré, « libertin des Lumières » il se reconnaît. A la manière du prince de Conti, bien sûr). Il tenait à ce que cela soit dit.

    « Une forme de condamnation, contraire à la présomption d’innocence ? » pour me placer dans votre logique :

    - Une forme de condamnation de l’amalgame entre libertin et l’acte d’accusation à l’encontre de Dominique Strauss Khan : oui absolument

    - Une forme de condamnation de DSK ? Ce n’est pas, je crois, le propos de Sollers dans cette entrée du Journal du mois. Même, si vous avez raison, la présomption d’innocence est entamée, de facto. Mais ne l’est-elle pas aussi quand la presse française s’interroge en forme d’autocritique « Aurions-nous dû parler plus tôt et davantage ? ». Deux principes entrent alors en compétition : le principe d’hypocrisie - quel que soit le nom plus positif dont on le pare - face au principe de lucidité et de réalisme.

    Condamner DSK est tout simplement hors du scope de Sollers, je crois. Ce n’est pas son rôle. Et de plus, quel que soit le mode de défense choisi par DSK, la probabilité que l’affaire se termine, sans procès, par un arrangement entre les parties, est jugée la plus probable par les familiers de la justice américaine. En outre, ne l’oublions pas, c’est aussi l’intérêt des avocats de la plaignante, qui vous l’avez sans doute noté, accourent comme les souris autour du fromage.

    Alors, au final, la Vérité et la Justice dans ce genre d’affaires...?

    Mais l’équation comporte une inconnue non résolue : Qui est cette femme ? - "La pauvre Ophélia" évoquée par Sollers.
    Toutes les cartes du jeu n’ont pas été retournées. L’accusation et la défense font monter les enchères. La partie continue. A suivre.

    Sans même connaître les conclusions des tests ADN, et quel qu’en soit le résultat, on peut déjà constater que cette affaire laisse des traces : le mouvement féministe se trouve relancé, en même temps que s ?ouvre un grand débat sur les relations du pouvoir et du sexe. La marmite est en ébullition. Le couvercle se soulève et lance ses jets de vapeur comme un dragon maléfique.

    Nota : Pour des allusions verbales de Sollers, à chaud, se reportrer au long entretien (78’) Picouly/Sollers (Brunch Littéraire, 15 mai 2011 - voir page d’accueil, section News). L’affaire DSK vient de débuter le matin même : trois brèves allusions à chaud, sur le mode ironique, pas sérieux. La première allusion se situe autour de la 28-29ème minute. Un aparté à un moment où la discussion porte sur le temps chez Stendhal. Pas le même tempo que l’assaut sur la femme de chambre évoqué par l’accusation : ..."Il faut donner Stendhal à lire, à DSK" Plus loin "Etre réveillé par ce genre de nouvelle, ça marque. Je parle sous le coup de l’actualité. ...Ca va durer un mois, deux mois, trois mois..."


  • PY | 1er juin 2011 - 19:06 5

    Comment comprendre les notes de Sollers sur DSK ?
    N’est-ce pas une forme de condamnation ?
    La présomption d’innocence n’est-elle pas ainsi bafouée ?